Entre la Montagne du Bokor et les collines du parc national de Kep se trouve une plaine côtière, tout entière livrée à la force des éléments, aux embruns, au soleil ou aux orages. C’est une terre ouverte, âpre, puissante et poétique qui laisse une place à l’imagination que suscitent les grands espaces. Cette terre en damiers est divisée en rectangles réguliers (les « œillets ») qui sont entourés de diguettes, de canaux et de petits ponts. Elle est parsemée de vieux entrepôts en bois rongés par le vent salé, dont certains ont été construits du temps des Khmers Rouges.
Durant la mousson, tout y fonctionne au ralenti: quelques ouvriers s’affairent à empaqueter le sel et à le transférer vers l’usine, d’autres préparent la saison sèche en remblayant des carrés de terre argileuse, une mère et sa fille pêchent de petits crabes qui tentent l’échappée belle. Dès novembre, après les dernières pluies, l’activité saisonnière reprend. Les journaliers dament inlassablement les œillets en traînant leurs lourds racloirs et autres râteaux de bois derrière eux, évacuant la boue et les impuretés. Une fois l’eau de mer acheminée dans les salines, il faut attendre que la magie opère et que l’eau rejoigne le ciel: c’est la cristallisation et le sel concentré affleure alors à la surface, se parant de blanc, de beige et de rose. Au lever du jour, le sel est délicatement rassemblé par les paludiers, placé dans des paniers puis transporté à la palanche vers les entrepôts.
C’est un travail précis, technique et éreintant. Les charges sont lourdes, les instruments également, les pieds et les mains sont livrés aux ravages du sel, le salaire est maigre, le soleil aveuglant. Mais c’est un travail noble, séculaire, utile, un travail d’équipe, solidaire, un travail à la beauté éblouissante, presque autant que la fleur de sel. Malheureusement, en raison du changement climatique, il a tellement plu de 2017 à 2019 à Kampot entre décembre et avril que très peu de sel a été récolté en 2017 et qu'aucune récolte de sel n'a pu avoir lieu en 2018, après cependant des récoltes record en 2015 et 2016 (respectivement 175.000 et 143.000 tonnes). Du sel a du être massivement être importé de Thaïlande, du Vietnam, de Chine et d'Inde en 2019 (la récolte s'élevant à environ 33.000 tonnes alors que les besoins sont de 80.000 à 100.000 tonnes par an pour l'ensemble du pays). En 2020, tous les entrepôts étaient vides en début de saison mais les travailleurs du sel et les exploitants ont finalement pu récolter près de 84.000 tonnes de sel. Le secteur du sel fait face à de nombreuses difficultés liées au climat mais aussi au manque de personnel qualifié saisonnier. Les salaires sont extrêmement bas, en partie parce que le sac de sel de 50 kg n'est vendu qu'entre deux et trois US dollars.
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Between the Bokor Mountain and the hills of the Kep National Park is a vast coastal plain, entirely given over to the power of the elements, the ocean spray, the sunshine and the storms. This land is open, harsh, powerful and poetic. Like other open spaces, it does leave room for imagination. This land is divided into regular squares or rectangles, the salt fields / flats, that are surrounded by dikes, ditches and small bridges. It is dotted with old wooden warehouses corroded by the salty wind, some of which were built by the Khmer Rouge.
During the monsoon, everything is idling: some faraway workers are busy packing and transferring salt to the plant, others prepare the dry season backfilling the fields with clayish soil, a mother and daughter fish small crabs that attempt to escape. By November, after the last rains, seasonal activity resumes. Day salt workers tirelessly ram down the fields’ surface, dragging their heavy scrapers and other wooden rakes behind them, removing mud and dirt. Once the seawater is channeled into the fields, the water evaporates and the magic happens: the crystallized salt shows on the surface, adorned with shades of white, beige and pink. At daybreak, the salt is carefully gathered by the workers, placed in wicker baskets and then transported into the warehouses with shoulder yokes.
This is a precise, technical and backbreaking work. The loads and the instruments are incredibly heavy, the workers’ feet and hands are eaten away with salt, the wage is meager and the sun is blinding. However it is a noble work, secular and useful, a harsh teamwork that is carried out in a good atmosphere. It is also a job of such a striking and dazzling beauty, like the flower of salt (fleur de sel). Unfortunately, due to the climate change, it rained so much in Kampot between December and April between 2017 and 2019 that no salt harvest took place during in 2018 and very little in 2017, after records set in 2015 and 2016 (175,000 and 143,000 tons respectively). Salt has been massively imported from Thailand, Vietnam, China and India in 2019 (the harvest was barely 33,000 tons while the needs per year for the entire country are between 80,000 and 100,000 tons). In 2020, all salt warehouses were empty at the start of the season but the salt workers and producers were ultimately lucky enough to produce nearly 84,000 tons of salt. The salt sector faces problems related to qualified seasonal labour shortages. The wages are extremely low, which is partly explained by the fact that the bag of 50 kg is sold between 2 and 3 USD.